Une chorale géante d’enfants venus des quartiers populaires de Seine-Saint-Denis, Paris et Marseille se produira ce mois-ci au Théâtre du Châtelet et à l’Opéra de la Cité phocéenne en compagnie de la grande artiste Angélique Kidjo. L’aboutissement d’un beau projet d’éducation musicale.
(Article initialement paru dans La Croix l’hebdo du 15 juin 2024)
En ce jour pluvieux de mars, à un jet de pierre du célèbre théâtre équestre Zingaro, des chants d’enfants résonnent depuis un improbable chapiteau planté, dans une zone encore en travaux, au cœur de l’ancien fort militaire d’Aubervilliers. 120 élèves de primaire en Seine-Saint-Denis, assistent, étoiles dans les yeux, au show intimiste d’Angélique Kidjo, accompagnée d’un seul musicien. Ils reprennent en chœur Kelele, un des tubes de la star de la chanson d’origine béninoise qui, à 63 ans et couronnée par cinq Grammy Awards, la plus prestigieuse des récompenses de l’industrie musicale, fête ses 40 ans de carrière.
Un spectacle pédagogique, dans lequel les chansons s’entrecroisent avec les questions préparées des enfants. Quand Sofiane, 10 ans, lui demande ce qu’elle fait de son temps libre, Angélique Kidjo parle de sa passion de la cuisine. « Ça me relaxe ! J’aime bien mélanger les cuisines, les épices, on a toujours des ingrédients en commun dans nos cultures, elles ne s’opposent pas. » Une philosophie qui s’applique à la perfection à sa musique.
Mais ces enfants ne sont pas seulement là pour découvrir son univers. Ils préparent un spectacle d’envergure. Nous sommes au Point Fort d’Aubervilliers, une nouvelle scène conventionnée dédiée aux musiques du monde, inaugurée en 2021 et encore en construction. Animée par l’association Villes des musiques du monde, elle accueillera très bientôt 440 m2 de bureaux et de salles de répétition. C’est ici que s’organise un ambitieux projet d’éducation populaire : la Cité des marmots-minots. Existant depuis 2008, et prenant chaque année de l’ampleur, il rassemble de nombreuses classes d’écoles publiques autour des musiques populaires de toutes les cultures, invitant à chaque fois un artiste pour accompagner la création d’un concert final de grande ampleur.
Cette année, c’est Angélique Kidjo qui a accepté d’être la marraine du projet, rassemblant 1 500 élèves venus de 63 classes de Seine-Saint-Denis, Paris et Marseille. Et ce ne sera pas un mais cinq concerts qui clôtureront l’année dans des salles prestigieuses : le Théâtre du Châtelet à Paris et l’Opéra de Marseille. Grande innovation cette année, le Cojo (Comité olympique) a labellisé le projet Olympiade culturelle. « Cela nous permet de faire participer les 50 musiciens de l’Orchestre national d’Île-de-France, et de créer des échanges entre 100 gamins de Paris qui iront se produire à Marseille et 100 minots marseillais qui découvrirons le Châtelet », précise Sabrina Ouis, coordinatrice du projet pour l’Île-de-France depuis douze ans.
Le dispositif prévoit une quinzaine d’ateliers par classe, animés par une dizaine de musiciens formés au répertoire d’Angélique Kidjo, et une dernière répétition le jour J. « Au début, certains enfants sont un peu timides, n’osent pas chanter, explique Sabrina Ouis. Mais les musiciens arrivent toujours à trouver des astuces pour les amener tout doucement vers la musique, en jouant sur les rythmes, les percussions corporelles. Le déclic, c’est quand ils rencontrent l’artiste, comme aujourd’hui. Quand je les revois au moment du concert final, ils sont métamorphosés, contents d’offrir un beau moment à leurs parents. » Le collectif du chœur est aussi très important. « Ils apprennent qu’ils peuvent compter les uns sur les autres, que même s’ils oublient une parole, les copains sont à côté et que ce n’est pas grave. On essaie vraiment de beaucoup les rassurer afin qu’ils prennent du plaisir, tout en les mettant dans une vraie position d’artiste. »
À raison de deux concerts par jour, Angélique Kidjo, qui vit à New York, est donc ici pour deux jours de rencontres avec ses jeunes choristes. « C’est toujours important pour moi de travailler avec les enfants. Je me mets à leur place, raconte l’artiste. À leur âge, je n’arrêtais pas de poser des questions ! Dans ce monde de technologie, on a tendance à oublier que les enfants ont aussi besoin d’entendre nos voix. Que le téléphone et les ordinateurs n’ont pas toutes les réponses, et que l’amour qu’on leur donne passe par l’écoute et le partage. » Elle ne cesse d’utiliser la musique pour ouvrir des portes. « L’arme la plus puissante, c’est de chanter une berceuse. Parce qu’elle vous ramène à votre enfance. À ce moment de sécurité et d’amour où l’on ne sait pas encore que le monde est parsemé de monstres, reprend celle qui est aussi, depuis vingt et un ans, ambassadrice de l’Unicef. J’ai vu des enfants-soldats, des garçons et des filles violés durant les conflits. Je me suis rendu compte que, quand je leur chantais une simple berceuse, quelque chose en eux se détendait. Tout à coup, on voit l’humain resurgir dans ce regard vide de douleur et de renoncement en la vie. » Si, ici, le contexte est nettement moins dramatique, l’objectif d’Angélique Kidjo n’est pas si différent, et porte bien au-delà des notes. « La musique pour moi est le meilleur moyen de les toucher au-delà des mots pour leur faire prendre conscience de leur propre importance. Qu’ils prennent conscience qu’ils sont libres d’être des enfants et de vivre dans un pays libre. C’est difficile parfois, mais c’est une formidable puissance. »
Une classe de CM1 est présente sur les bancs du chapiteau. Venant de Stains, tous ont déjà commencé à travailler sur trois morceaux, au rythme d’une heure par semaine. Une cadence pour maîtriser sept chansons du répertoire d’Angélique en fon, l’une des langues du Bénin, et Petite fleur, une chanson en français reprise de Sidney Bechet. « Ça nous apprend la musique, se réjouit Oren, 9 ans, et ça nous permet de chanter dans une langue que je ne connaissais pas. Ce n’est pas comme les musiques de maintenant, moi j’écoute du rap, Favé ou Ninho, mais c’est bien ! » Il est impatient et très fier à l’idée de monter sur scène. « Je n’ai pas le trac, je suis prêt à tout ! Je vais essayer de donner le meilleur de moi-même pour le concert ! » Même impression pour Djena, 10 ans. « Je n’avais jamais entendu parler du Bénin avant. Ça me fait découvrir des pays et des langues. » Et pour Maeva, 10 ans, cette rencontre fut un choc. « D’habitude, j’écoute des chansons tristes, comme celles de Billie Eilish. La première fois que j’ai écouté Angélique Kidjo, j’étais époustouflée, j’ai ressenti de la bonne humeur ! »
« Sensibiliser à l’apprentissage des langues étrangères et maternelles sur le temps de l’école républicaine est pour nous un enjeu important, explique Kamel Dafri, directeur de l’association Villes des musiques du monde depuis vingt-quatre ans. La musique est un excellent moyen de le faire. La langue des artistes fait écho à celle des enfants qui constituent ce territoire de Seine-Saint-Denis, où 122 langues sont parlées. Nous voulons agir dans des territoires stigmatisés et offrir aux enfants une aventure commune, tirant parti de l’effervescence créative. Dans les débats sur l’intégration et l’éducation, nous sommes, peut-être, une petite partie de la solution. » À la fin du concert, les enfants reprennent une dernière chanson d’Angélique, Ominira, sourire jusqu’aux oreilles. Son titre veut dire « Liberté ».
Les cinq concerts :
Montreuil : samedi 22 juin, à 16 heures, à la Fête de la ville au parc Montreau (entrée libre)
Paris : dimanche 23 juin, à 15 h 15 et 18 h 45, au Théâtre du Châtelet
Marseille : mercredi 26 juin, à 18 h 30, et jeudi 27 juin, à 18 h 30, à l’Opéra
Informations et réservations : https://citedesmarmotsminots.fr