Froissements plis déchirures,
du temps on s’efforce en vain de saisir la trame
Le lisse (huilé de l’organique, de la pensée) glisse
comme le fil entre les mains des Parques,
mortelles déesses dont le nom plus ancien, Moires,
désigne aujourd’hui tout tissu aux reflets changeants –
du mohair à la soie – passé à la calandre
Certains noms, comme des êtres, ont la vie dure
Moires, par un phonétique hasard,
a ressurgi dans mémoire, du latin memoria
Outre sa funeste sonorité due à la syllabe mor
qui suit le pronom personnel me,
ce nom semble suggérer la présence d’un double
La main du scribe ne fait qu’effleurer l’étoffe :
le sens demeure prisonnier de la texture
Des lueurs du moi, feux follets, clignotent par endroits,
là où quelque fil en apparence plus résistant
est en danger de rompre si l’on s’obstine à le tirer
Claire Malroux
Météo Miroir, Le bruit du temps,104 p., 17 €
Écoutez ce poème (lecture Stéphane Bataillon) :
Poétesse et traductrice, notamment de l’œuvre d’Emily Dickinson chez José Corti, Claire Malroux interroge, dans son nouveau re-cueil, notre rapport au temps et à notre finitude. Elle convoque dans ses poèmes, pour nous aider à voir plus clair dans la suite de nos jours, animaux de la Genèse, couleurs de Nicolas de Staël et mots grecs ou latins dont elle révèle la source. Une traversée à la fois paisible et animée, comme un voyage dans un train dont les fenêtres vibrent au croisement d’un autre, à l’image de nos vies. Un éloge, sage et malicieux, de la fatalité.
Stéphane Bataillon
(Initialement paru dans La Croix l’hebdo n°24)