Ils perdirent l’Étoile, un soir ; pourquoi perd-on
L’Étoile ? Pour l’avoir parfois trop regardée…
Les deux Rois Blancs, étant des savants de Chaldée,
Tracèrent sur le sol des cercles, au bâton.
Ils firent des calculs, grattèrent leur menton…
Mais l’étoile avait fui comme fuit une idée
Et ces hommes dont l’âme eut soif d’être guidée
Pleurèrent en dressant des tentes de coton.
Mais le pauvre Roi Noir, méprisé des deux autres,
Se dit : « Pensons aux soifs qui ne sont pas les nôtres.
Il faut donner quand même à boire aux animaux. »
Et, tandis qu’il tenait son seau d’eau par son anse,
Dans l’humble rond de ciel ou buvaient les chameaux
Il vit l’Étoile d’or, qui dansait en silence.
Edmond Rostand
Le Cantique de l’aile, éd. Eugène Fasquelle, Paris , 1922.
Publié il y a tout juste cent ans, dans le recueil de poèmes posthumes Le Cantique de l’aile, ce sonnet méconnu de l’auteur de Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand (1869-1918), met en valeur Balthazar, le « Roi Noir », représenté dès le XIVe siècle sous les traits d’un roi « noir éthiopien » descendant, selon l’écrivain carmélite Jean de Hildesheim, de la reine de Saba. Citée dans l’Évangile de Matthieu, la figure de ces trois rois magiciens et astrologues devint rapidement populaire. Le symbolisme de leurs présents – l’or, l’encens et la myrrhe – se développe à partir du VIe siècle grâce aux Pères de l’Église. L’or et l’encens, apportés par Gaspard et Melchior, évoquent respectivement la royauté et l’attribut divin. Entre ces deux pouvoirs, temporel et spirituel, la myrrhe offerte par Balthazar témoigne de l’incarnation dans l’homme, épousant sa condition mortelle. Ici méprisé par les deux Rois Blancs, les yeux par trop fixés au ciel, c’est Balthazar, poussé par l’altruisme et la charité et conscient de sa place entre Dieu et les bêtes, qui retrouve l’« Étoile d’or » indiquant la bonne route, dans un reflet d’une nuit sur le chemin.
Stéphane Bataillon
(Initialement publié dans La Croix l’hebdo du 17/12/2021)