(Article initialement paru dans La Croix l’Hebdo du 04/01/2020)
Toute une nuit de rêves. Au Festival d’Avignon de juillet 1983, de jeunes conteurs se lancent dans un pari fou : raconter pendant sept heures d’affilée, et trois soirs de suite, l’un des plus grands contes de l’histoire de l’humanité : Les Mille et Une Nuits. Six musiciens accompagnent sept narrateurs, maîtres et maîtresses de cette parole éphémère, qui se relayent d’histoire en histoire pour, comme Shéhérazade cherchant à sauver sa vie, envoûter le roi Sharyar. Tout comme le tyran, le public, loin d’être effrayé par ce spectacle fleuve, se laissa séduire par l’histoire des dix borgnes, celle du cheval magique, la fable de l’envieux et de l’envié ou le destin de l’homme aux deux princesses, pimentant l’épopée par quelques « devinettes coquines » à ne pas mettre entre toutes les oreilles.
La performance est saluée comme un événement fondateur, qui participera à l’émergence de toute une nouvelle génération de conteurs emmenée par Bruno de La Salle qui, dès la fin des années 1970, remit en lumière et vivifia la pratique de cet art populaire alors en désuétude.
Captés et diffusés à l’époque sur France Culture, ces enregistrements arrivent aujourd’hui jusqu’à nous, patiemment remastérisés par les Éditions Oui’dire, spécialisée dans l’édition sonore des meilleurs conteurs contemporains. Ce trésor du patrimoine immatériel est présenté dans un coffret comportant sept CD et un livre passionnant où, à côté d’une large sélection de textes du spectacle, Bruno de La Salle raconte cette aventure, pas plus évidente hier qu’aujourd’hui, dévoile la structure d’un récit en poupées gigognes et des techniques pour passer d’un texte transmis en France par le livre au XVIIIe siècle à une histoire portée par la mélodie des voix. Il ne reste plus qu’à fermer les yeux et se laisser porter jusqu’au bout de la nuit.