Pour beaucoup, « retrouver l’essentiel » n’était qu’un vague objectif, voire un rêve. Jusqu’à la crise sanitaire… Mais ce qui est nécessaire pour survivre n’est pas toujours ce qui nous fait vivre. Entre philosophie, sciences humaines et trésors de la spiritualité chrétienne, voici quelques ressources, avec la nouvelle année, pour partir sur les traces de cet essentiel.
POURQUOI NOUS L’AVONS FAIT ?
« Retrouver l’essentiel ». L’expression fait figure de mantra dans le monde du développement personnel, sans que l’on sache très bien ce que cet essentiel recouvre et s’il est le même pour tous. La crise sanitaire a replacé ce terme en première ligne, avec des professions qui seraient « essentielles », et d’autres qui auront pris ombrage d’être considérées au mieux comme « non essentielles », au pire comme inutiles à la société. Une situation que le sociologue François de Singly analyse comme le signe d’une « société du mépris » : le déni de reconnaissance pour les activités, et les personnes derrière elles, est à terme, selon le chercheur, délétère pour le « tenir-ensemble ».
Et nous dans tout ça ? Au fil de la crise, beaucoup se reposent, parfois douloureusement,
la question de leurs priorités. Un besoin de liberté intérieure pour (ré)imaginer comment « mieux vivre » sa vie dans une période sans perspectives claires. En analysant ce que cette expression englobe, en en signalant les pièges et en explorant les ressources pour discerner « son » essentiel, ce dossier n’a qu’un but : ne vous livrer que l’essentiel pour aborder cette nouvelle année. Vertigineux programme !
Chacun cherche son essentiel
Pour Charlotte, le premier confinement a été un déclic. «Je me suis retrouvée comme beaucoup au chômage partiel. Je suis partie vivre cet arrêt forcé avec mes parents, dans la campagne du Berry, là où j’ai passé mes dix-huit premières années. Je me suis rendu compte à quel point le contact avec la nature m’avait manqué et j’ai mesuré l’importance de la proximité avec les miens.» Cette jeune trentenaire travaille dans le milieu de l’édition parisienne et s’apprête à retourner s’installer en région. « Moins un changement de vie qu’un retour à mes racines. » À l’inverse, Vénus, 42 ans, entrepreneuse gérant son site de vente en ligne de luminaires depuis chez elle, estime que le confinement n’a pas changé grand-chose dans l’organisation de sa vie. « Par contre, je me suis tenue loin des écrans dès ma journée travail terminée. Et, comme à chaque fois que je suis face à une crise dans ma vie, je me suis plongée dans la littérature et j’ai dévoré les romans et les essais. Une façon d’échapper à ce climat d’angoisse. »
Que les changements soient grands ou petits, cette priorité de l’essentiel s’est imposée à tous pendant la crise. Et c’est le président qui a commencé. Le 16 mars 2020, Emmanuel Macron annonçait le début du premier confinement par ces mots : « Retrouvez aussi ce sens de l’essentiel. Je pense que c’est important dans les moments que nous vivons. La culture, l’éducation, le sens des choses est important. » La déclaration fit réagir, peut-être parce qu’elle constituait une étonnante injonction touchant à la conduite de nos vies. «La société de consommation et du numérique nous donne l’impression que nous sommes pleins de désirs, analyse Jean-Guilhem Xerri, thérapeute et psychanalyste, auteur de (Re)vivez de l’intérieur (Cerf). Mais ce ne sont pas nos désirs propres. D’où ce sentiment de frustration existentiel que beaucoup peuvent ressentir.»
Quel est donc ce sens de l’essentiel ? Est-il possible de le retrouver ? Et avons-nous tous le même en tête ? Profitons de ce début d’année pour reprendre l’initiative, malgré les embûches (ou grâce à elles), et initier un voyage passionnant en six escales vers la (re)conquête de soi.
Estimer nos vrais besoins
Pourquoi faire ? Pour passer du verre à moitié vide au verre à moitié plein. Pour que nous puissions, de manière plus objective, nous situer par rapport à ce qui manquerait à notre équilibre.
Chacun d’entre nous est-il vraiment si loin de ce fameux essentiel ? Les sciences sociales ont tenté d’offrir des grilles de lecture pour cerner les besoins fondamentaux de l’être humain. Et ces derniers se rapportent à de nombreux domaines car, comme disait Platon, « l’essentiel n’est pas de vivre, mais de bien vivre ». Nous situer personnellement sur l’état de nos propres besoins permet d’orienter son énergie aux bons endroits.
La pyramide des besoins humains, ou pyramide de Maslow, est l’une des cartographies les plus citées dans le domaine. Elle tire son nom de son inventeur, le psychologue américain Abraham Maslow, qui l’a imaginée en 1943, et elle se compose de cinq étages. Des besoins physiologiques vitaux (respirer, boire, manger, dormir) à l’accomplissement de soi en passant par les besoins de sécurité, d’appartenance, d’estime de soi et de reconnaissance par les autres. Or, chacun de ces pans a pu être affecté par la crise de 2020. Un besoin de sécurité mis à mal par l’incertitude économique et sanitaire,mais aussi un climat déstabilisant marqué par la montée des fake news et de la « post-vérité », minant le sentiment d’appartenance au groupe. Et la perte d’estime s’aggrave de surcroît lorsque sa profession a été considérée comme « non essentielle ». Le dernier étage de la pyramide, l’accomplissement de soi, s’en trouve logiquement ébranlé, lui qui est caractérisé par la créativité, la résolution des problèmes et l’acceptation des faits.
Ce modèle est cependant très critiqué, car il favoriserait une vision linéaire et mécaniste de l’existence. «Ce qui est vrai dans cette pyramide, ce sont ses éléments constitutifs, mais ce qui est illusoire c’est leur hiérarchisation. » C’est ce que relève Patrick Goujon, jésuite, professeur d’histoire de la spiritualité et de théologie au Centre Sèvres et auteur de Méditez et vous vivrez. Une lecture de la spiritualité chrétienne à paraître en avril chez Bayard. «Imaginez ce que cela devient lorsqu’il s’agit d’un Ehpad. Si les besoins élémentaires, être lavé et nourri sont satisfaits, alors tout va bien ? On fait mourir des gens comme ça ! Les modèles pyramidaux de ce type conçoivent la vie humaine et sociale comme devant être objectivable, comptable.»
Pourtant, la théorie de Maslow reste très populaire. «Oui, car c’est un moyen de fixer des objectifs de progression simples à partager, explique Benjamin Cartron, sociologue au cabinet Singuliers-Pluriel, spécialisé dans les conseils d’organisation aux entreprises. Mais il existe d’autres classifications, comme celle de Virginia Henderson. » Contemporaine de Maslow, cette infirmière, enseignante et chercheuse américaine, a listé 14 besoins fondamentaux. «Cette liste est beaucoup utilisée par les personnels soignants et aidants aux personnes âgées, car elle permet d’agir pour équilibrer les situations avec une approche globale de chaque individu.» La liste de Henderson détaille les conditions d’un existence pleine et digne. En plus des besoins primaires, elle inclue le développement personnel, l’estime de soi et la résilience grâce à la communication avec ses semblables. Elle prend en compte aussi la nécessité des loisirs et des activités créatrices.
Plus récemment, en 2017, l’association ATD Quart Monde a proposé un contre-modèle de la pyramide de Maslow : un « cercle des besoins », divisé en 8 quartiers, sans ordre prioritaire, incluant la culture et l’éducation, le lien social et… la spiritualité.
Chasser les illusions
Pourquoi faire ? Pour ne pas nous épuiser en vains objectifs et ne pas céder aux névroses de l’époque et du « tout à l’ego ».
Au-delà de la crise et de ses conséquences non maîtrisables, de faux besoins, plus intimes, ne mènent qu’à des impasses. Ce n’est pas faute, pourtant, d’avoir été prévenus par ces ancêtres des lanceurs d’alertes qu’étaient les philosophes de l’Antiquité grecque ! Dès le IVe siècle av. J.-C., Épicure, dans une fameuse lettre à son disciple Ménécée, met en garde sur ce qu’il nomme les « désirs vains ». Il y distingue les désirs irréalisables, comme la recherche de l’immortalité, en vogue jusqu’à aujourd’hui chez certains tenants du transhumanisme, et les désirs artificiels, comme la richesse excessive ou la célébrité, si valorisées par les réseaux sociaux et leurs influenceurs. Tous n’amèneraient, finalement, que de la souffrance.
«Nous sommes en mode gestion de projet du matin au soir, constate Jean-Guilhem Xerri, sommés d’être performants et en même temps zen. Cela pose la question du moi, notre personne, et du faux-moi, notre personnage.» Deux facettes de nous parfois difficiles à concilier, au risque de l’implosion. «C’est le piège du narcissisme, précise Patrick Goujon.à vouloir réaliser une image de soi qui n’est qu’une image, combien se désespèrent à ne jamais l’atteindre ? Se départir de cette image, même positive, est difficile, mais toujours moins douloureux qu’une vie envahie par les illusions de la réalisation de soi. Car vivre, ce n’est pas réaliser un objectif. Ça, c’est produire. Or, on ne produit pas sa vie. La crise actuelle nous montre que, précisément, nous vivons d’appartenances réciproques et d’affection. Elle nous oblige à concevoir la liberté comme une liberté de responsabilité, avec les autres, pour la recherche d’un bien commun dans lequel je serai heureux. »
Une liberté particulière dont le besoin se ferait plus vivement sentir à certaines phases de nos vies. Le philosophe Søren Kierkegaard (1813-1855) distingue ainsi, dans ses Étapes sur le chemin de la vie,un « stade religieux » à partir de 45-50 ans. Il surviendrait à la suite du « stade esthétique » des découvertes tous azimuts de nos 20 ans, et du « stade éthique » de consolidation de nos valeurs (et parfois de désillusion face au réel) autour de la trentaine. Ce « stade religieux » est une étape naturelle durant laquelle, face à la vie et à ses limites, chacun prend conscience du besoin d’opérer un saut qualitatif, au-delà de la résignation.
C’est ce qu’Abraham Maslow appelait le « dépassement de soi ». Il voulait, à la fin de sa vie, en faire le sixième et ultime étage de sa pyramide. Soit le besoin de faire avancer une cause importante et/ou la recherche de transcendance, à travers des expériences vécues. Ces dernières ne seraient plus uniquement tournées vers la satisfaction de ses besoins propres mais vers la qualité de ses relations aux autres.
Identifier notre mission
Pourquoi faire ? Pour retrouver de l’énergie, la joie d’agir et de sentir que notre vie est utile, en dépit des événements extérieurs.
Le prêtre et docteur en psychologie canadien Jean Monbourquette (1933-2011), dont le livre À chacun sa mission (Bayard Poche) vient d’être réédité, notait « qu’il existe une grande différence entre philosopher sur le sens de la vie et trouver le sens de sa vie ». Trouver ce qu’il appelle sa « mission » serait l’une des clés pour approcher un « essentiel » pérenne. Appelée vocation, vision ou raison d’être, l’accomplissement d’une mission qui nous est propre nous ferait passer d’un essentiel imposé et hors de portée à notre essentiel personnel. «Ce qui permet de traverser l’angoisse, la solitude, la pression du numérique, ce sont des ressources de nature spirituelle, précise Jean-Guilhem Xerri. Ce qui est essentiel, à côté de la colère, de l’épuisement et de l’envie de retravailler, c’est de retrouver du souffle, alors même que le Covid est une maladie de la respiration. » Ce souffle est aussi cette force profonde que l’homme a nommé logos, noos, ruach, sirr ou pneuma, ou spiritus en latin, et que nous appelons esprit. Une relation à plus grand que soi, qui sublime ce que l’on fait. C’est la petite parabole des tailleurs de pierre : un passant demande à trois tailleurs de pierre ce qu’ils font dans la vie. Le premier répond : « Je taille des pierres. » Le second dit : « Je taille des pierres pour bâtir un mur. » Le troisième, sans même attendre la question, s’empresse de déclarer avec fierté : « Je suis en train de bâtir une cathédrale. »
Trouver l’objet de cette mission, ou réaffirmer ce qui nous porte déjà, que ce soit notre profession, une de nos passions, un engagement associatif ou une voie contemplative, est un travail patient et éminemment personnel. Il peut se faire seul ou accompagné mais nécessite une introspection profonde, durant un temps que l’on s’autorise hors des regards extérieurs et que Jean Monbourquette appelle « la période de marge ». De nombreuses questions peuvent guider cette exploration : « À l’adolescence, quels types de personne ne vouliez-vous surtout pas devenir ? » ; « Imaginez votre éloge funèbre. » ; « Quelle description fait votre meilleur(e) ami(e) de la qualité de vos relations humaines ? » ; ou encore : « Quels sujets de conversation vous intéressent au plus haut point ? » Dans ces réponses se trouve sûrement ce qui peut faire avancer.
Désencombrer notre vie avec les Pères du désert
Pourquoi faire ? Pour nous « dépolluer » de l’intérieur et créer l’espace libre nécessaire afin de nous ouvrir de nouveaux horizons.
Afin de vivre pleinement la transformation (conversio, en latin) qui mène au renforcement de notre vie intérieure, la sagesse des Pères du désert, premiers ermites chrétiens des IIIe et IVe siècles, peut être utile. Installés dans le désert égyptien, ils avaient pour nom Abba (Père) Antoine, Macaire ou Évagre. Ils ont transmis leur sagesse sous forme de petites histoires et anecdotes, appelées apophtegmes. Souvent plaisantes à lire, elles contiennent une sagesse pratique qui part de situations vécues. Jean-Guilhem Xerri explore cette tradition dans ses derniers ouvrages. «La pédagogie des Pères est très pertinente sur le plan psychologique pour nous aider à faire cet attelage entre le champ du bien-être et un point de passage pour aller plus loin. Pour elle, c’est à partir de la sobriété qu’un chemin intérieur peut se dérouler.»
La sobriété des Pères s’applique non seulement à nos possessions matérielles, mais aussi à notre rapport aux informations venues de l’extérieur. Quand les mauvaises nouvelles tournent en boucle, à la télévision ou sur les réseaux, et créent de l’angoisse, une seule solution : éteindre les écrans. Ce travail sert aussi à repérer les perturbateurs de l’intériorité. À côté des possessions matérielles, l’idée est d’identifier des « gêneurs » plus difficiles à percevoir, liés à l’image de soi, comme l’ambition fixe pour un poste ou une succession incessante de projets. «Quelqu’un qui a toujours cinquante mille projets, cela devient à un moment plus nocif que vertueux. Mais ces polluants ne sont pas identiques si on est dans un monastère ou si l’on travaille dans une start-up, ou à l’hôpital, souligne Jean-Guilhem Xerri. C’est à chacun de faire son auto-diagnostic pour voir où il est le plus à risque. » Pour ce faire, il faut se forcer à se poser, malgré le tempo infernal de nos vies. «Même se lever deux minutes toutes les heures face à son ordinateur permet de reprendre un peu le contrôle de son rythme. D’autant qu’avec le télétravail, le risque est qu’il n’y ait jamais de stop. »
Cultiver l’attention avec la « garde du cœur »
Pourquoi faire ? Pour couper court aux pensées obsédantes qui nous empêchent de vivre et aller vers ce qui est important et source de force.
Une fois le ménage intérieur initié, les Pères du désert préconisent de cultiver une vigilance pour traiter ces pensées récurrentes, qui tournent en rond tel un hamster dans sa cage et pourrissent notre quotidien. Une attitude appelée la « garde du cœur » (le cœur étant le lieu symbolique de l’intelligence sensible de l’homme et de son intériorité). C’est l’idée du « connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux », inscrit à l’entrée du temple de Delphes, en Grèce, et repris par les ermites égyptiens. Ainsi, l’un d’entre eux, Abba Poemem, conseille : « Sois le portier de ton cœur. L’attention permet la garde du cœur. C’est l’organe de la vie spirituelle. »«Notre cœur est fait de portes et de fenêtres, décrypte Jean-Guilhem Xerri. Si tout est tout le temps ouvert, des vents mauvais, des périls, de la vanité vont entrer… J’ai la possibilité de fermer, en partie, les fenêtres et de savoir à qui j’ouvre. C’est le travail sur les pensées qui consiste à repérer ce qui passe par la tête et à ne pas s’y laisser entraîner. Lorsqu’une pensée parasite surgit, on coupe court.» Comment ? En l’ayant bien identifiée et formulée. Par exemple, ma pensée « Je suis frustré(e) de cette promotion que je n’ai pas eue il y a deux mois » : dès qu’elle surgit, me poser pour un temps de silence, qui peut être très court, et prendre mentalement de la distance avec elle. Puis je la considère comme un objet qui passe devant mon regard et… je la laisse passer, comme si elle s’évaporait. Autre solution : au moindre signe d’apparition, penser à une image ou un souvenir agréable, faire, comme les Pères, une prière ou se concentrer sur les mouvements de sa respiration. Bref, tout se qui peut réduire l’emprise de cette pensée négative sur le mental, progressivement et sans se crisper. Ce n’est pas grave si cela ne marche pas à tous les coups, l’important est de persévérer dans cette voie. Cette attitude, centrale, doit devenir, à force de vigilance et d’efforts, naturelle et permanente. Abba Hyperéchios en souligne très poétiquement le bénéfice : « Le moine qui veille fait que même la nuit il fait jour. »
Loin d’être des hommes irréprochables, les Pères du désert étaient aussi saisis de passions, comme la colère. Mais ils tentaient toujours de promouvoir la notion de mesure. « Ils le font en équilibrant les quatre fondamentaux que sont la sobriété, le souci de l’autre, la méditation et la garde du cœur, note Jean-Guilhem Xerri. En effet, s’il n’y a que la sobriété, on devient un athlète de l’ascèse mais la vie devient un enfer. Si je ne suis que dans le souci de l’autre, très engagé, je vais m’épuiser et j’épuiserai les autres. Avec la seule méditation, je vais me la jouer “super-moine zen” et je serai pour le coup complètement narcissique. Enfin, à n’être que dans l’attention de ce qui nous passe par la tête, on devient vite asocial. Ces attitudes ont donc besoin d’être reliées les unes aux autres pour s’équilibrer et être puissantes. Ma nature profonde a besoin de ça pour son équilibre intérieur, psychique, nécessaire pour déployer le souffle qui, chez les chrétiens, est la place de l’Esprit Saint. »
Méditer avec les exercices spirituels
Pourquoi faire ?Pour apprendre à laisser monter et se renforcer une paix intérieure pour nous sentir « à notre place » y compris avec les autres.
Les philosophes de la Grèce antique, au premier rang desquels les stoïciens, avaient énoncé les remèdes pour éviter les maladies de l’âme, telles que l’acédie, ce découragement teinté de dégoût face à l’existence, et favoriser le rebond. Appelés « exercices spirituels », on les retrouve aujourd’hui sous diverses formes : la lecture et l’écriture, la contemplation de la nature, la marche, la diététique ou la méditation, tellement en vogue.
Bien avant les best-sellers de méditation en pleine conscience de Jon Kabat-Zinn ou de Christophe André, c’est le prêtre fondateur de la Compagnie de Jésus Ignace de Loyola qui proposa, en 1548, ses Exercices spirituels. Un véritable programme méditatif, avec des exercices et des conseils, étalé sur quatre semaines, permettant de se connaître soi-même, d’orienter son existence et de se mettre à l’écoute de l’Esprit. « Dans les Exercices spirituels, le discernement permet d’identifier ce qui va me permettre de mieux mettre en œuvre ce que je cherche à vivre, explique Patrick Goujon. C’est une sagesse pratique dans laquelle on grandit à mesure qu’on découvre l’amour que Dieu a pour nous. Le mot-clé des exercices, c’est la reconnaissance. On reconnaît ce qui nous est donné, la situation dans laquelle on se trouve, mais aussi les talents, la création, bien plus grands que nous-même. »
Ces méditations sont guidées à partir de textes de l’Évangile ou d’expériences introspectives. Comme dans le zen, elles font grand cas de la respiration et utilisent beaucoup la répétition à la manière d’un échauffement sportif. « Ignace fait lui-même la comparaison avec les exercices physiques qui permettent d’être plus attentif à notre manière d’entrer en relation et des échos que cela provoque pour renforcer nos points forts et repérer ce qui est plus fragile et risquerait de rompre, continue Patrick Goujon. C’est mieux de savoir qui on est, non pas pour écarter nos faiblesses, mais pour savoir par où il est plus sûr d’aller et connaître ses limites. »
Autre sujet de méditation : la place de nos relations aux autres. « Si les autres vous ennuient, vous fatiguent, vous sont douloureux, il est peut-être temps d’aller voir quelqu’un. Ce peut être le signe d’une vraie souffrance psychologique. Même dans la méditation, si on ne se concentre que sur soi et sur Dieu, il y a indice d’un manque de prise de conscience de ce qu’est sa vie en réalité. La spiritualité, c’est passer de l’image à la vie. »
Cet essentiel-là serait donc accessible ? Oui… À condition moins d’y revenir que de le laisser venir. « La vie intérieure, ce n’est pas quelque chose à atteindre mais à laisser croître, résume Jean-Guilhem Xerri. La faire croître n’est pas à notre main, mais ce qui est de notre responsabilité, c’est de créer les conditions pour. Et cette observation de l’esprit qui se déploie amène à l’émerveillement. » À chacun, donc, de choisir avec quelle pincée d’essentiel son année s’éclairera.
Stéphane Bataillon
Micro-anthologie de l’essentiel
L’essentiel peut parfois se dire en peu de mots. Voici 10 citations de personnalités pour inspirer la nouvelle année
« On se demande parfois si la vie a un sens. Puis on rencontre des êtres qui donnent un sens à la vie. »
Brassaï
« Le sens de la vie est de trouver votre don. Le but de la vie est de le partager. »
William Shakespeare
« À force de sacrifier l’essentiel à l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel. »
Edgar Morin
« Il n’y a que deux conduites avec la vie : ou on la rêve, ou on l’accomplit. »
René Char
« La vie trouve toujours sa voie comme un fleuve détourné de son lit en creuse toujours un autre. »
Amin Maalouf
« S’il manque quelque chose à votre vie, c’est que vous n’avez pas regardé assez haut. »
Raoul Follereau
« On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. »
Antoine de Saint-Exupéry
« Est fanatique celui qui est sûr de posséder la vérité. Il est définitivement enfermé dans cette certitude ; il ne peut donc plus participer aux échanges ; il perd l’essentiel de sa personne. Il n’est plus qu’un objet prêt à être manipulé. »
Albert Jacquard
« Le sens de la vie c’est justement de s’amuser avec la vie. »
Milan Kundera
« Ne suis pas le chemin des autres, va au contraire là où il n’y a pas de chemin et laisse une piste. »
Gandhi
Trousse de secours sagesse
Voici quatre petits exercices simples, à utiliser au quotidien face à un obstacle ou une frustration.
Le point de vue de Sirius, stoïcien
Face à un obstacle affectif ou matériel, prendre un court moment pour envisager l’importance de cette contrariété vue depuis l’étoile la plus brillante après le Soleil : Sirius. Oui, on ne le perçoit pas à l’échelle de l’Univers, alors pourquoi lui accorder tant d’importance ? Les stoïciens appellent cette posture
le regard d’en haut. Elle permet de relativiser et de se concentrer sur le moment présent.
La prière de l’examen d’Ignace de Loyola
C’est l’exercice préféré du jésuite Patrick Goujon. Prendre un temps le matin et le soir pour accueillir ce qui est déjà là. Laisser retomber l’agitation de la journée en se demandant « quel a été le moment, l’image, la parole enrichissante et belle que je garderai de cette journée ? » Laisser remonter ce qui compte.
« Le terme technique, c’est la prière de l’examen, mais cela nous met sur des fausses pistes, car il n’y a rien à chercher. Je l’appelle la prière de sédimentation. Quand on la fait régulièrement, cela transforme notre vision du monde et rend notre existence plus dense. »
Le Memento mori d’Évagre
Cette locution latine signifie « souviens-toi que tu vas mourir ». Elle a été popularisée par le christianisme médiéval et a donné lieu à de multiples représentations picturales,
les vanités. Elle permet de juger de l’importance (ou non) à accorder à un événement ou à une parole dans le cours de sa vie où tous les instants sont précieux. Évagre, l’un des Pères du désert, écrit à ce propos : « Souviens-toi sans cesse de ta mort, et n’oublie pas le jugement éternel ; ainsi il n’y aura pas de négligence dans ton âme. »
La liste des pensées obsédantes
Considérer les pensées qui nous reviennent tout le temps et dans lesquelles on se laisse emporter, pendant la semaine ou le mois, et les noter sur une liste. « Ces pensées récurrentes ne sont pas nombreuses, prévient Jean-Guilhem Xerri. Généralement deux ou trois. » Les formuler permet de les objectiver. Elles ne sont pas toutes à rejeter. En parler à quelqu’un de confiance peut aussi aider à les rendre moins récurrentes.
POUR EN SAVOIR PLUS
Découvrir la spiritualité ignatienne
Le livre Consolation et action de Guilhem Causse est une présentation contemporaine de la spiritualité jésuite, accessible et en prise avec les enjeux d’aujourd’hui (Tallandier, 157 p., 16,90 €). S’il n’est pas conseillé de se lancer seul dans les Exercices spirituels d’Ignace de Loyola, on peut trouver une bonne traduction : celle d’Édouard Gueydan sj, parue en 1985 et disponible en poche chez Desclée de Brouwer (304 p., 13,20 €).
Faire une retraite grâce à des exercices spirituels
Pour s’initier à la méditation et à la pédagogie ignatienne, des retraites de un, trois, dix ou trente jours sont proposées par l’un des cinq centres spirituels jésuites situés en France et en Belgique. Le site jesuites.com rassemble toutes les informations, et propose des programmes de méditation à distance. Enfin, « Prie en chemin » est un podcast de méditation quotidien gratuit, mêlant lectures, psaumes et musiques, et inspiré d’exercices spirituels. Disponible sur Deezer, Spotify, le site prieenchemin.org ou avec l’application dédiée (Android et iOS).
Lire les Pères du désert
Pour découvrir les sages et malicieux apophtegmes des Pères du désert dans le texte, il y a la passionnante mais imposante édition de référence en trois volumes parue dans la collection « Sources chrétiennes » du Cerf. Mais il y a aussi deux recueils disponibles en poche, plus accessibles : La Sagesse du désert. Aphorismes des Pères du désert, par Thomas Merton (coll. « Spiritualités vivantes », Albin Michel, 128 p., 7,50 €) et Paroles des anciens. Apophtegmes des Pères du désert, traduits par Jean-Claude Guy (Points sagesses, 190 p., 7,50 €).
Méditer avec Jean-Guilhem Xerri
(Re)vivez de l’intérieur, le nouveau livre de Jean-Guilhem Xerri,
qui nous a épaulés dans ce dossier, est un essai pratique pour profiter de la sagesse des Pères du désert dans nos vies connectées. L’ouvrage est accompagné de sept longues méditations thématiques en audio, comme « Faire silence », « Respirer » ou encore « Méditer avec la nature » (Cerf, 224 p., 16 €, méditations à télécharger sur Internet avec l’achat du livre).