(Article initialement paru dans le cahier Religion & spiritualité de La Croix du jeudi 13 juillet 2023)
Entre spiritualités orientales et pleine conscience, la tradition chrétienne dispose d’un riche savoir-faire des pratiques méditatives. L’été est une période propice pour s’y initier.
La méditation, qui suppose une concentration méthodique et dynamique du corps allié à l’esprit, s’exerce au sein du christianisme depuis ses origines. Profondes et éprouvées, les formes de méditations chrétiennes, prières contemplatives ou oraisons, proposent toutes, plus que l’éveil ou le bien-être, d’atteindre un état propice à la rencontre avec un Dieu personnel. Et si elles induisent une transformation intérieure positive, elles doivent aussi se traduire dans nos rapports avec les autres.
L’été est une période propice pour commencer une pratique régulière, à partir de l’une des dix pistes ici proposées. Mais comment faire ? Quelle que soit la méthode adoptée, quelques invariants sont à signaler. D’abord, le besoin absolu de régularité qui nécessite de choisir un endroit calme où effectuer sa méditation chaque jour à heure fixe. Mieux vaut commencer par dix minutes le matin ou le soir et s’y tenir pour augmenter plus tard le temps consacré (de trente minutes à une heure, une à deux fois par jour). Ensuite, la posture. L’essentiel est d’être à la fois tonique et confortable, pour ne pas avoir envie de bouger : assis sur une chaise, un banc de méditation, ou dans la position du lotus, en veillant toujours à avoir le dos droit, épaules détendues, mains jointes ou posées l’une sur l’autre, yeux fermés ou fixés sur un objet (bougie, icône, statuette…). Enfin, la respiration, élément crucial, doit être pleine, l’air descendant dans le ventre, tranquille et sans forcer. Tout cela en veillant, comme le rappelle saint Augustin, à ne pas se tromper de sens : « Ne t’en va pas au-dehors, rentre en toi-même ; au cœur de l’homme habite la vérité. »
1. La lectio divina
« Cherchez en lisant, vous trouverez en méditant, frappez en priant, vous entrerez en contemplant. »
Guiges II le Chartreux (1114-v. 1193)
Héritée des Pères du désert, la méthode de la lectio divina a été codifiée au XIIe siècle par Guigues II le Chartreux dans sa Lettre sur la vie contemplative. Ses quatre étapes (lectio, meditatio, oratio et contemplatio) constituent les quatre barreaux de « l’échelle des moines » menant progressivement à Dieu. Elle consiste d’abord en une lecture attentive d’un extrait des Écritures (texte du jour ou lecture suivie), qui est ensuite « ruminé » silencieusement en étudiant le texte pour faire ressentir ses aspérités et ses résonances.
Une fois assimilé, le passage à la méditation permet d’entrer dans son sens symbolique afin de faire jaillir son sens et sa saveur. La prière (oratio) est l’occasion de s’adresser à Dieu, pour lui demander d’aider à inscrire le texte en nous. Enfin, la contemplation est un temps de profond silence, ouvert à la présence. « La lecture apporte la nourriture à la bouche, la méditation la mastique et la broie, la prière la goûte et la contemplation est cette saveur même qui remplit de joie et restaure. »
2. La prière du cœur
« Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur. »
Répétée sans fin au fil de la journée, debout, assis ou en marchant, cette « prière du cœur », au centre des célèbres « récits d’un pèlerin russe » est l’un des joyaux de l’orthodoxie. Invocation du Nom de Jésus, cette prière simple se rattache à la méthode ascétique et mystique millénaire de l’hésychasme (du grec hésychia : « paix », « silence »). Dans un récent petit ouvrage, La Prière du cœur (Actes sud, 144 p., 16 €), le moine orthodoxe Frère Jean, higoumène du skite Sainte-Foye dans les Cévennes, détaille comment ces mots doivent se répéter intérieurement au fil d’une respiration lente et naturelle, composées de quatre moments : l’inspir, l’expir, la rétention à la fin de l’inspir et celle à la fin de l’expir.
Durant l’inspir, se laisser « féconder par le souffle divin, réceptif à sa grâce », en déroulant « Seigneur Jésus-Christ, fils de Dieu ». Après un court temps de pause, à l’expir, l’orant « s’abandonne à Dieu dans un au-delà, au plus profond de lui-même ». Les mots « Aie pitié de moi, pêcheur » l’accompagnent. Avec, au milieu des deux phases du souffle, les termes « Jésus-Christ » et « moi » qui se répondent profondément.
3. Le détachement mystique
« Observe-toi toi-même, et à chaque fois que tu te trouves, laisse-toi ; il n’y a rien de mieux. »
Maître Eckhart (1260-1327)
Le premier et le plus célèbre des mystiques rhénans, le théologien et philosophe dominicain allemand Johannes Eckhart, dit « Maître », est un point de jonction entre les méditations orientales et la prière silencieuse chrétienne. Ses formules jouent du paradoxe et du recours à la théologie négative : dire ce que Dieu n’est pas plutôt que ce qu’il est, chamboulant au passage les formulations de notre réalité… et de nos illusions. Tels des koan, courts textes zen frappant la logique, ses écrits peuvent être utilisés comme supports méditatifs. Ils sont disponibles en poche chez de nombreux éditeurs ou dans la récente édition de ses 180 sermons traduite et commentée par Laurent Jouvet (Almora, 1 512 p., 45 €.). Autre source de ce courant utile au méditant, Le Nuage d’inconnaissance (Points Seuil, 240 p., 8,50 €), traité sur la vie contemplative dû à un chartreux anglais anonyme du XIVe siècle, conseille la répétition permanente d’un mot bref d’une seule syllabe, comme « Dieu », contre les distractions.
4. Les exercices spirituels
« Faire avec calme ce que vous pouvez. »
Saint Ignace de Loyola (1491-1556)
Les exercices spirituels du fondateur des jésuites, saint Ignace de Loyola, sont une démarche progressive, conçue pour une retraite de quatre semaines (ou survolée en sept jours afin de répondre aux exigences de la vie moderne). Leur but, pratique, « se vaincre soi-même et ordonner sa vie », mobilise une large palette d’activités mentales (réfléchir, comparer, se souvenir…) rassemblées dans un livre, à découvrir dans la bonne traduction d’Édouard Gueydan (DDB, 304 p., 13,20 €). Ignace de Loyola recommande de se préparer à la méditation toujours à son rythme, en précisant bien le but que l’on assigne à ce moment. Parmi l’ensemble des exercices, il détaille deux manières de prier qui peuvent servir de base méditative : contempler le sens des mots du Notre Père en s’arrêtant sur chaque mot et les laisser se déployer en nous jusqu’à épuisement, ou pratiquer la prière « par rythme », qui consiste au départ à égrener le Notre Père au rythme d’un mot par cycle de respiration.
5. L’oraison du Carmel
« Celui qui veut s’adonner à l’oraison doit se figurer qu’il entreprend de faire, dans un sol ingrat et couvert de ronces, un jardin dont la beauté charme les yeux du Seigneur. »
Thérèse d’Avila (1515-1582)
Pour Thérèse d’Avila, l’âme est un château dont l’oraison est la porte. Ce « cœur à cœur » silencieux avec Jésus s’introduit par un signe de croix, l’allumage d’une bougie ou un rapide examen de conscience (en relisant sa journée, par exemple).Pour faire oraison et se mettre en présence du « Verbe incarné », se représenter Jésus dans une scène d’évangile, ou reprendre un verset comme support de concentration. Une « mastication » de la parole qui fait appel à tous les sens, les mots répétés résonnant avec les choses vues, senties, touchées, afin de relier un aspect du mystère de la foi à son expérience personnelle. Synthèse à la fois pratique et magistrale de l’enseignement des grandes figures du Carmel, avec Jean de la Croix et Thérèse de Lisieux, Je veux voir Dieu de Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus (Éditions du Carmel, 1 392 p., 38 €) est une mine pour entrer dans cette voie.
6. L’oraison de simple regard
« Soyez fidèlement invariable en cette résolution de demeurer en une très simple unité et unique simplicité de la présence de Dieu. »
Saint François de Sales (1567-1622)
Très en vogue au XVIIe siècle en France, cette forme de méditation extrêmement dépouillée, également appelée « prière de silence intérieur » ou « prière du moment présent », consiste à se placer tranquillement et au calme en présence de Dieu, sans s’appuyer sur une image, un mot, ou un mystère particulier afin d’ouvrir l’œil de son âme ; en unifiant l’élan de son âme vers Dieu. De nombreux auteurs ont développé cette approche, dont saint François de Sales, qui insiste sur la douceur à s’autoriser face aux tourbillons de pensées qui bousculent l’esprit lors de ces moments. Augustin Baker, bénédictin anglais vivant en France, ajoutait en 1657 que cette oraison se faisait « avec un doux et tacite consentement d’amour dans sa volonté qui permet à Dieu de prendre possession de son âme comme d’un temple qui lui est entièrement consacré, et dans lequel Il est déjà présent ».
7. La plongée dans le rien
« La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu’elle fleurit, N’a pour elle-même aucun soin – ne demande pas : suis-je regardé ? »
Angelus Silesius (1624-1677)
Johannes Scheffler, médecin et poète allemand, protestant luthérien converti au catholicisme, publie à partir de 1657, sous le pseudonyme d’Angelus Silesius, une étonnante collection de plus de 1 600 distiques, Le Voyageur chérubinique (Rivages poche, 512 p., 10,65 €.)
Dans ces « épigrammes et maximes spirituelles », il pose le but de toute méditation chrétienne, parvenir à Dieu et regagner l’unité, et qualifie le silence méditatif : « Le repos que Dieu désire est pur de tout péché, sans désir, sans volonté, abandonné, intérieur, délicat » et réconcilie en un mouvement l’esprit (le ciel) et le corps (la terre) : « J’ai en moi le désir du ciel mais aussi l’amour de la terre./Car sur cette terre, je puis me rapprocher de Dieu. »
8. Le recueillement quaker
« Le vrai silence est le repos de l’esprit ; il est pour l’esprit ce que le sommeil est pour le corps, une nourriture et un rafraîchissement. »
William Penn (1644-1718)
La Société religieuse des amis, dont les membres sont appelés les quakers, est un mouvement chrétien de tendance protestante, né en Angleterre au XVIIe siècle avec des figures comme William Penn. Connus pour leur non-violence radicale, les quakers se réunissent lors des cultes silencieux méditatifs, d’une durée d’une heure hebdomadaire. Dans un cadre simple (salle commune), sans prêtre ni pasteur, le culte commence à l’arrivée du premier participant, rejoint progressivement par les autres membres assis en cercle et en silence autour d’une bible ou d’un vase de fleurs. Au cours du culte, chacun peut se lever pour prendre une fois la parole brièvement, sans réponse des autres, la règle étant de laisser un laps de silence important entre deux interventions. Cette méditation collective permet « de se recentrer en silence pour s’ouvrir à une réalité spirituelle profonde ».
9. La prière centralisante
« Méditer, c’est s’embarquer dans un voyage qui consiste à se débarrasser de l’illusion monumentale que Dieu est loin, ou absent. »
Thomas Keating (1923-2018)
Lancée par trois moines trappistes américains dans les années 1970, dont Thomas Keating, la prière centralisante tire son nom des écrits de Thomas Merton. Cette prière contemplative consiste à se laisser rejoindre au centre de l’être par un Dieu « plus proche que la respiration, plus proche que la pensée et plus proche que la conscience elle-même », comme l’écrit Keating. Une fois assis confortablement, les yeux fermés, la prière commence au son d’une clochette.
Après quinze secondes de calme, un mot sacré, ou mot-prière toujours bref, librement choisi comme « Amen », « Jésus », « Abba » (père) est convoqué dans la pensée, au rythme d’une respiration lente. Ce mot symbolise l’intention de consentir à la présence et à l’action de Dieu en soi. Durant la séance, lorsque bruits, souvenirs ou pensées resurgissent, il ne faut pas essayer de les chasser mais revenir au mot sacré comme s’il était « une goutte de rosée descendant sur un brin d’herbe ». La séance se termine sur un Notre Père prononcé très lentement avant de rouvrir les yeux.
10. L’usage d’un mantra
« Méditer est d’une totale simplicité. »
John Main (1926-1982)
Moine bénédictin de l’abbaye d’Ealing à Londres, John Main s’est inspiré de la prière faite d’un mot décrite au Ve siècle par le Père du désert Jean Cassien pour offrir une forme d’oraison simple et adaptée au monde moderne. Il fonde la Communauté mondiale pour la méditation chrétienne (WCCM en anglais) en 1975 afin de la diffuser. Main gauche sur la droite, yeux légèrement fermés, elle consiste à prendre conscience de sa respiration : à l’inspir, c’est l’accueil du don de la vie ; à l’expir, c’est le lâcher-prise. Comme lors de la prière centralisante, toutes les pensées, même positives, sont mises de côté grâce à la répétition calme, intérieure et continuelle des quatre syllabes d’un unique mot de prière, appelé mantra ou « formule sacrée » : Maranatha, « Seigneur, viens ! » en araméen, langue de Jésus. C’est avec ce mot, sans résonance à une image ou à une émotion particulière, que saint Paul conclut sa Première Lettre aux Corinthiens (1 Co 16,22) et saint Jean son Apocalypse (Ap 22,20).