Pour Billy Collins
Il y a
quelque chose
dans l’âme américaine
qui s’élève avec
les cerfs-volants qui s’envolent !
Quelque chose qui vit quand vrombit
le vent soulevant le cerf-volant
qui s’élève au-dessus des toits, du faîte
des arbres et des têtes fascinées ! Et pourtant –
il n’y a pas dans l’âme américaine
quelque chose qui adore le
cerf-volant ratant son envol.
Celui dont la queue
se déchiquette à
l’antenne de télé.
Celui qui monte
follement
à l’aube
puis s’abat
verticalement
à vos pieds
en tas.
Joyce Carol Oates
Mélancolie américaine. Traduit de l’anglais (États-Unis)
par Claude Seban, Éd. Philippe Rey. 128 p., 17 €
Écoutez ce poème (lecture Stéphane Bataillon) :
Pour la première fois, les poèmes de la grande romancière américaine Joyce Carol Oates sont traduits en français. L’autrice de Mudwoman, de Reflets en eau trouble ou de Blonde (biographie romancée de Marilyn Monroe récemment adaptée en film) garde sa plume acérée pour dépeindre une Amérique arrogante et misérable, étincelante et dévastée. Ces poèmes aux rythmes très différents, haletants ou se déployant en prose, dépeignent un pays qui croule sous le poids de son rêve. Tout s’y vend, y compris le vivant : des singes pour des expériences scientifiques, des stars, les tragédies de l’histoire, et même des bouts de peau. Un « American Dream » qui ne s’éteint pourtant pas tout à fait, grâce, paradoxalement, à cette profonde mise à nue. Une lueur subsiste. Comme si l’on pouvait tout reprendre à zéro et épurer d’un poème les scandales de ces vies aux sourires de façade : « Tout dépend / pour beaucoup / de l’oubli de beaucoup // car nos / premiers / désirs ardents jamais / ne s’éteignent. // L’AVC / qui efface / le souvenir / a pour autre nom / merci. »
Stéphane Bataillon
(Initialement paru dans La Croix l’Hebdo n°168)