UPPLR #174 : Imaginons, par Guillevic

Le temps que des corbeaux aient crié sur les chaumes
Et que le papillon ait traversé le champ,
Le temps que le cheval grandisse en approchant
Et qu’un chœur de fourmis regagne son royaume,

Le temps que met de l’eau à tiédir dans ta paume,
Le temps qu’un rossignol met au soleil couchant
Après un vol rapide à retrouver son chant
Et que ce soit d’abord simplement comme un baume,

Le temps qu’il nous ait dit aussi ce qu’il fallait
Penser du soir et de la nuit telle qu’elle est
Et puis des lendemains plus loin que l’espérance,

Le temps de ramener près de moi tes genoux
Le temps de ce regard qui donne la confiance,
Imaginons tout le possible. Il est à nous.

(29 septembre 1954)

Eugène Guillevic

Sonnets. Édition établie et présentée
par Bertrand Degott, Gallimard, 200 p., 20 €

Écoutez ce poème (lecture : Stéphane Bataillon) :

 

En 1954, Eugène Guillevic fait paraître chez Gallimard trente-et-un sonnets. Des poèmes classiques, fixes et rimés, pour ce chantre du vers libre, qui ont un but précis : faire l’apologie du régime communiste, appuyé par Aragon affublant le recueil d’une trop longue préface. Lourds, exaltés et manichéens, ils n’ont pas le génie de l’auteur de Carnac, Terraqué ou du plus récent Possibles futurs. Guillevic, sans les renier totalement, dira plus tard « Ce n’est pas ma poésie à moi, ce n’est pas ma voix, mais c’est quand même un certain moi. » Reste que, pendant longtemps, ils ne furent plus disponibles. Néanmoins, Guillevic aimait cette forme classique qui lui rappelait ses premiers émois poétiques. Ces « sources de son émerveillement » qui avaient pour noms Sully Prudhomme ou François Coppée. Cette édition critique de l’ensemble des sonnets rassemble, outre les fameux trente-et-un poèmes délaissés, de nombreux autres textes, écrits depuis ses 17 ans jusque dans les années 1980. Au détour de ces pages, on se laisse séduire par le rythme régulier, redonnant sa place au pouvoir de l’imagination.

Stéphane Bataillon

Retrouvez ce poème dans La Croix l’Hebdo n°174 du 17 mars 2023.