Les mauvais jours, tu penses : tout est écrit, déjà
dans tes liens aux racines – celles des terres lointaines
– des pièces d’un puzzle qui ne peuvent s’emboîter
mais ce n’est pas aussi figé, non ? ni aussi simple
ni aussi plat
– une danse, plutôt
oui, voilà : avec tes racines, tu danses
Vous vous toisez, vous tournez, en gestes lents
parfois tu fuis, et tu crois les avoir semées
– semées…
quand elles réapparaissent, juste devant
– et le mouvement reprend
Une danse épuisante, suffisamment
sans la charge d’un public indiscret
des inconnus, ou non, qui en passant s’écrient :
« mais pas comme ça ! », « tu devrais bien savoir, pourtant ! »
– les importuns, voilà la poisse
qui s’immiscent, se massent et donnent le tempo
– le tempo ! mais il n’y en a pas
lorsque nous dansons avec nos racines
nous composons, perpétuellement.
Anna Ayanoglou
Sensations du combat, Gallimard, 90 p., 13 €
Née en 1985, Anna Ayanoglou nous livre un second recueil de poésie après Le Fil des Traversées (Gallimard, 2019, prix Apollinaire découverte). Dans une très belle langue, conjuguant à la fois la retenue intime et les riffs d’une guitare, elle y raconte ses racines grecques, sa « désorigine » quand elle partit grandir ailleurs avec « Enfant, une sensation / une cicatrice inexpliquée / que les autres n’ont pas – un peu de douleur, un peu de fierté ». Les liens tissés avec cette terre, cette langue entendue quand la famille est au bout du fil. Elle y mêle ses amours et les tourbillons de sa vie, coups durs compris. Elle les encaisse de face, contre les vengeances aveugles et les rugissements mais sans jamais tomber dans le sentimentalisme. Avec cet espoir propre au poème : « erreur, hasard, parfois te tombe / à la surface un peu de chance ».
Stéphane Bataillon
(@sbataillon)
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