(Article initialement paru dans le cahier Livres & idées de La Croix du 20/05/202)
Le nouveau Cahier de l’Herne retrace le parcours de Jean Malaurie, arpenteur du cercle Arctique, soutien indéfectible du peuple inuit et fondateur de la célèbre collection « Terre humaine ».
Il a commencé sa carrière de géomorphologue par écouter les pierres, étudier leurs structures, observer leurs mouvements. Puis, Jean Malaurie s’est tourné vers les hommes, poussant jusqu’au cœur des régions polaires et devenant ethno-historien rencontrant le peuple inuit à partir de 1950. Au contact du grand chamane Uutaaq, il décida de consacrer sa vie à la défense de cette culture orale traditionnelle. À 98 ans, après plus de 31 expéditions dans le cercle arctique, des centaines d’articles scientifiques, des livres à succès et une dizaine de films, Jean Malaurie se voit consacrer un riche Cahier de l’Herne. Deux entretiens, une vingtaine de textes de l’auteur, dont cinq inédits, et une cinquantaine de contributions éclairent son long parcours. Proches et compagnons de route, universitaires, écrivains (Kenneth White, Pierre Assouline, J.M.G Le Clézio), hommes d’État (du prince Albert II de Monaco à Jean-Pierre Chevènement), tous font ressortir les traits d’un chercheur épris d’indépendance. Au structuralisme alors en vogue, il préfère une approche sensible, à la première personne, mais documentant scrupuleusement le réel (odeurs, couleurs, gestes) afin de saisir le « noyau dur » d’un peuple. Ses figures tutélaires sont longuement évoquées, la force d’imagination de Gaston Bachelard ou la pensée du philosophe Léon Chestov, qui l’aide à « assurer un passage de la physique à la métaphysique », de même que sa rencontre déterminante avec l’historien Lucien Febvre.
Une part importante du numéro est consacrée à l’aventure de la collection « Terre humaine » qu’il fonda et anima chez Plon de 1955 à 2015. Une centaine d’ouvrages devenus des classiques de l’ethnologie. Les siens, Les Derniers Rois de Thulé, Ultima Thulé, comme ceux des autres, le Tristes tropiques de Claude Lévi-Strauss ou Le Cheval d’orgueil de Pierre-Jakez Hélias. Tous sont reliés par une conviction essentielle, « celle selon laquelle d’autres valeurs humaines aussi éloignées que possible des siennes propres sont pourtant estimables ».
Ce vaste ensemble s’attarde aussi sur l’un de ses moyens d’expression peut-être moins connu : le pastel. Des paysages polaires tracés depuis ses 65 ans pour tenter d’approcher la beauté et le « mystère surnaturel » d’une aube ou d’un crépuscule. Chez Jean Malaurie, art, science et sacré s’allient ainsi sans cesse pour nous faire partager cette énergie vitale qui relie hommes et pierres et qui, en inuit, se dit Uummaa. Jusqu’au cœur battant de la terre.
Stéphane Bataillon
Cahier de l’Herne. Jean Malaurie, Dirigé par Pierre Aurégan et Jan Born, L’Herne, 272 p., 33 €