J’ai longtemps cherché une terre d’accueil. Une question entre légitimité et imposture. Une volonté enfantine, de la toute-puissance enfantine, de se sentir reconnu sans appartenir au groupe. Une tension créatrice qui m’a poussé, curieux, sur le chemin du poème. Mais pour raconter quoi ? Car il faut, même ici, une histoire. Quel exil ? Quelle perte ? Quelles interrogations ? Se mettre dans les pas des des figures précédentes, refaire les voyages, formuler les senteurs ?
À un moment, il faut accepter de plonger. Pour creuser, pour s’imprégner vraiment et pouvoir en sortir quelque chose. Une forme d’abandon lucide afin de trouver peut être quelque chose de sûr qui, dans les temps mornes, dans les heures fades, empêche la déprime. Quelque chose qui veille sur la lumière. Sur le brin d’herbe. Sur la trace d’une unique et tendre caresse à l’intérieur de nous. Pas dans la tête, sûrement dans ce cœur symbolique situé à notre centre.
Je crois qu’il faut croire
Que c’est l’une des solutions.
En quoi, en qui ? À chacun de la décider. Mais croire.
Je crois que je crois en la fantasy.
Je crois que je crois au sacré, à la simplicité, à l’imagination performative et à la liberté qui parcourt le fairyland. Tous ces contes merveilleux, ces créatures magiques, ces morceaux du miroir qui se rapportent à nous, à notre histoire, à ce que nous allons, demain, y faire, quelque soit les moyens mis à notre disposition. Quelque soit les périls, les empêchements du corps, les chagrins et les joies.
Depuis mon premier recueil, “Où nos ombres s’épousent” ce substrat de merveilleux est présent : fées, vieille auberge, alchimistes, dragons et sortilèges surgissent dans le poème, dans cette expérience reformulée de mon quotidien. Il vient combattre l’étouffement, la surveillance, sans séparation entre réel et imaginaire, sans passage dans un autre monde. Le monde du poème, à la fois enclos et ouvert aux possibles, fait office de frontière, géographique comme temporelle. Cette présence du merveilleux n’a jamais été forcée, jamais vraiment pensée non plus.
En pleine réflexion sur l’autobiographie, sur les limites à poser pour se raconter, je tente une fiction, une « épopée fantastique », dans ce genre qui m’attire. Je me rend compte que l’histoire personnelle, même travestie, revient toquer à la porte des sorciers et des mages : la culture orientale transmise, l’exil, la perte, la fidélité à soi, à son histoire, aux autres.
La fantasy est encore, parfois, vu d’un mauvais œil, encore dénigrée par certains, surtout en littérature. À tort. À la question de savoir s’il ne risquait pas de se retrouver dans un ghetto littéraire en orientant sa production vers la fantasy, l’écrivain américain Stephen Lawhead répondait “Oh, c’est un ghetto vraiment immense. Je n’ai jamais eu l’impression d’être limité” (1).
Aujourd’hui, après de grandes œuvres comme celle de Jacques Abeille, une nouvelle fantasy à la française littéraire et exigeante, de Jean-Philippe Jaworski à Claire Duvivier, permet au genre de continuer à s’imposer durablement dans le paysage. Elle mêle l’intime et la transcendance, l’écologie et l’ouverture, la merveilleux et l’imaginaire pour un cocktail actif propre à stimuler nos vies, qui, face à la pandémie, en ont tellement besoin. Une haute littérature. Actualisation nécessaire des gestes contées par les troubadours. Qu’il faut chanter, qu’il faut porter. Qu’il faut mettre en poèmes.
Je tente cette aventure. Pour moi. Pour ceux qui suivent mon écriture. D’une grande joie.
(1) Dossier Fantasy, Yellow Submarine / Manticora , 1998.