Le jour mûr parlait aux montagnes : « Je suis bien fatigué désormais, bien fatigué. Laisse-moi m’allonger sur vous et demain je m’éveillerai pour ramasser les perles de mon collier, je les oublie toujours sur l’obscurité. » Et les montagnes bleuissaient, bleuissaient.
Le cœur violet du soir était traversé par le dernier rayon de soleil.
La courbe de la rivière ! La courbe du canal ! La courbe du chemin de peupliers blancs !
La tête noire de la première ombre pointa au sommet de la colline : « Préparez vos balais, mes belles amies ; nous avons aujourd’hui énormément de lumière à balayer ! » Et le sage hibou, qui attendait dans l’olivier, lui cria : « Tu oublieras toujours quelques gouttes. » Un silence neuf parfumait les joncs.
Sur une pente du crépuscule quatre peupliers blancs se miraient dans l’eau.
Federico García Lorca
Une colombe si cruelle, Poèmes en prose et autres textes. Traduit de l’espagnol par Carole Fillière, ed. Bruno Doucey, 144 p., 16 € (Sortie le 3 septembre 2020)
Écoutez ce poème (lecture Stéphane Bataillon) :
De Federico García Lorca, on connait la figure de la résistance au franquisme, celle du « poète gitan » du Romencero gitano, celle du dramaturge avec, entre autres, ses Noces de sang. Mais ces figures, repères nécessaires pour situer ce géant de la littérature mondiale, comportent un risque. Celui de réduire l’écrivain et d’en rester là. Empêchant de découvrir des pans entiers, moins visibles, de l’œuvre. Ce recueil prend le parti de nous présenter sa prose, dans une nouvelle traduction due à Carole Fillière. Art charnière entre théâtre, discours et poèmes, ces textes à lire en silence font danser les images, entre romantisme et symbolisme, inspirations hugolienne et avant-garde ouvrant de nouvelles voies. Fait remarquable pour un auteur déjà entré dans la Pléiade, quatorze d’entre elles sont totalement inédites en français. Une riche postface sur le travail de traduction et des notes fournies sur les lieux, œuvres et personnages auquel se réfère Lorca permet de le suivre dans ce voyage en lettres de soleil.
Stéphane Bataillon
Retrouvez ce poème dans La Croix L’Hebdo du 22 août 2020.