(Critique initialement parue dans le cahier Livres & idées de La Croix du 7 novembre 2019)
Le Petit Bidon et autres textes
de Christophe Tarkos
Préface de Nathalie Quintane
P.O.L, coll. #Formatpoche, 224 p., 9,50 €
Il disait : « Le seul moment où se collent la lettre, ce qui est écrit, et le sens, c’est dans le poème. C’est pour ça qu’on s’intéresse à la poésie d’ailleurs. Sinon, on ne s’intéresserait pas du tout à ça. » Comète fulgurante de la poésie contemporaine, Christophe Tarkos a disparu en 2004, emporté, à 40 ans, par une tumeur qui ne lui aura permis de briller qu’une petite dizaine d’années. Mais avec quel éclat. Après la génération de Bernard Heidsieck et de Julien Blaine, il contribua avec des amis poètes comme Charles Pennequin à renouveler la poésie-action. Une poésie mise en voix, échappée de la page pour mieux prendre langue avec un public hors des salons feutrés. Une joyeuse avant-garde, loin des formalismes, cuisinant avec enthousiasme les mots du quotidien (un train, un bonhomme, une tombola, l’argent) pour en révéler les saveurs nouvelles.
« Tarkos en poche, c’est pour que vous le lisiez », écrit Nathalie Quintane, autre complice, dans l’émouvante préface de ce recueil de morceaux choisis au fil de l’œuvre. Tarkos, ce sont des listes de verbes, de plats, de danses ; des poèmes inscrits dans un rond, des poèmes-sketchs, des accumulations sonores, des dialogues surréalistes comme un jeu d’enfant, Maraboud’ficelle continué sans avoir vu passer le temps. Des textes écrits afin de n’être pas juste dits mais expulsés, avec un faux-semblant d’improvisation. Pour se demander à chaque fois, entre deux rires échappés, qui nous a fichus cette drôle de chose que l’on appelle la langue. À quoi sert-elle ? Comment s’en sert-on ? Christophe Tarkos, qui aime prendre des raccourcis et couper à travers champ, a inventé un nom pour répondre à ces questions : la Patmo. Une matière brute, première, qui permettrait d’en créer, des mots, de les coller, de les bousculer sans crainte. D’en faire des poèmes, même. Hors de portée des « voleurs de feu » et pourtant toujours incandescents. Toujours au plus près d’une forme de sacralité de la parole. Un sacré devenu si intime qu’on pourrait se permettre d’en jouer.
En lisant Tarkos, puis en allant l’écouter, le regarder grâce aux nombreuses captations, émissions et films qui lui sont consacrés sur Internet, on pense tout à la fois à la verve d’un Richard Brautigan, à un Fernand Raynaud qui aurait gentiment viré punk, ou aux escalades subtiles d’un Romain Bouteille. On rit. On réfléchit aussi. Sur ce que l’on est prêt à accepter de sa propre langue, de ce qui peut nous choquer, nous déstabiliser, par sa sonorité même. Car Tarkos ne s’attaque à rien ni à personne. Il ne fait que mettre en lumière l’absurde surgi du rapprochement des mots, sans une once d’ironie. Cette anthologie vient à point nommé pour le faire découvrir à tous ceux qui ne craignent pas de pétrir la langue et mieux se l’inventer.
Stéphane Bataillon