Critique parue le 5/10/2018 dans La Croix
Un album poignant sur le conflit autour de l’extraction de coltan, au Congo, présente l’action du docteur Denis Mukwege, l’« homme qui répare les femmes ».
Kivu, de Jean Van Hamme (scénario) et Christophe Simon (dessins), Le Lombard, 72 p., 14,99 €
Ce sera l’un de ses derniers albums. Scénariste star du 9e art, Jean Van Hamme, 79 ans, a décidé de quitter ce monde des bulles qu’il peuple depuis un demi-siècle avec ses héros Thorgal, XIII ou Largo Winch.
En guise de dernier voyage, il plonge dans le conflit meurtrier autour de l’extraction du coltan au Congo. Ce minerai, dont regorge le sol de la province du Sud-Kivu, est un composant essentiel de nos téléphones mobiles. Pour les exploiter au meilleur prix, une internationale du crime s’est mise en place depuis plus de 20 ans. Elle implique milices, États de la région et multinationales, dont beaucoup sont européennes.
Ici, François Daan, un jeune cadre brillant mais naïf d’une société belge, est envoyé sur place pour recruter un nouveau « directeur de production ». En réalité, un colonel sanguinaire, chef d’une milice rwandaise effectuant ses basses besognes au Congo. Accueilli par Peter de Bruyne, un mercenaire rompu à toutes les tractations locales, il découvre vite la violence crue d’un pays où tout le monde a intérêt à faire affaire, au mépris de toute morale. Un univers de cruauté difficilement soutenable, même avec la ligne délicate du dessinateur Christophe Simon, ayant œuvré sur la série Alix. Dans cet enfer, seuls quelques-uns résistent, et tentent de réparer.
C’est le cas du docteur Denis Mukwege, figure bien réelle et centrale de l’album. Lauréat du prix Nobel de la Paix, ce vendredi 5 octobre, il soigne avec son équipe les femmes victimes de mutilations et d’abus sexuels dans sa clinique de Panzi. Il recueille aussi les « enfants-serpents » nés de ces crimes qui deviendront souvent des enfants-soldats, cycle infernal. Livre refermé, impossible de ne pas se sentir secoué par ce conflit dont le produit se loge dans nos poches.
À l’exception du docteur Mukwege et de son équipe, tous les personnages sont inventés et le récit reste de facture très classique : Héros archétypaux et scènes d’action à foison, marque du scénariste. On pourrait regretter un happy end assez improbable (sans trop en dire, le jeune ingénieur belge, blanc et incorruptible garde le beau rôle). À moins que cet album ne soit aussi un peu autre chose.
Un clin d’œil complice de Van Hamme à son lecteur, pas complètement dupe sur les bons sentiments de ce Tintin réaliste retournant au Congo. Un regard amoureux sur son art, convoquant Blake et Mortimer, Alix, Corentin… les héros de sa jeunesse qui ne comptaient que sur leur courage pour mettre à bas tous les tyrans, transformant l’enfant qu’il fût en formidable inventeur d’histoires.
Stéphane Bataillon