Il y a des fois où l’amie qui vous offre un livre sourit avec tant de malice qu’on s’en régale d’avance. Des fois où l’on reçoit ce livre avec un arrière-goût d’angoisse, en se demandant comment il a bien pu nous échapper jusqu’ici. Ça fait comme ça, aussi, chez les pêcheurs.
Il y a des fois où l’on ose à peine accepter le cadeau, que l’on sent que c’est presque trop. Trop précieux, trop drôle, trop beau. Que ce livre a déjà vécu, connu d’autres yeux, d’autres sourires, d’autres que c’est presque trop. Que notre amie nous transmet quelque chose, sachant que nous en prendrons soin, en confiance.
Il s’agit (fin du suspens) d’un livre de textes d’humour de Pierre Etaix, Dactylographismes, jouant avec les lettres, les blancs de la page, sans aucun artifice, avec toujours la même typographie machine qui donne sa beauté à l’ensemble.
Dactylographismes rend heureux. Plus que ça. Donne du courage. Pousse à continuer les expérimentations, les jeux sérieux et poétiques qui mettent le bordel dans l’espace des pages. Pousse à creuser cet humour invendable, qui touche au plus profond de notre joie intacte de voir les lettres vivre.
Hier, en allant à l’école avec mon fils, nous nous sommes demandé pourquoi les signes de ponctuations n’avaient pas leur alphabet. Pourquoi ils trainaient parmi les lettres. Pourquoi ils étaient considérés comme des habitants de seconde zone. Il y a un texte là-dessus dans ce livre. Le dialogue d’un fils et de son père, le fils demandant ce qu’ils peuvent bien faire, pourquoi ils existent, tous ces signes. Et le père s’énerve, et le père ne sait pas, et le père veut lui flanquer une gifle, comme le père de Philémon dans la série de Fred. Alors, j’ai lu le texte, à haute voix, hier soir, en y mettant de la voix, une lecture pour tous les trois. Et nous avons ri, et nous nous sommes endormis, avec ces points de suspension qui font le sel de nos vies.